À quoi bon écrire alors que personne ne lit ?
Franchement, à quoi bon ?
La question est légitime. Qui lit encore vraiment aujourd’hui ? Qui prend le temps de s’asseoir, de dérouler un texte, de se laisser emporter par des phrases qui demandent autre chose qu’un simple coup d’œil ou un scroll rapide ? Pas grand monde. Et c’est bien ça le problème.
Nous vivons dans une époque où tout doit être court, rapide, digeste en trente secondes. Le règne du snack. Snack vidéo, snack info, snack inspiration. Et moi, je choisis d’écrire des billets de blog, mais aussi d’écrire pour moi. Des textes plus longs, qui demandent une vraie présence. Est-ce que c’est absurde ? Pour moi, c’est aussi un acte de résistance.
Le paradoxe de notre temps
On veut tout faire en même temps. On écoute un podcast en marchant, on répond à un message pendant qu’on mange, on fait défiler des vidéos en parlant avec nos enfants. Et lire ? Lire exige une chose devenue presque subversive : se concentrer sur une seule tâche. Impossible de lire “en parallèle”. J’ai essayé une fois de lire en marchant. Résultat : ridicule et je n’ai rien retenu.
Alors, qu’est-ce qu’on appelle “perdre du temps” ? Est-ce ne rien faire ? Est-ce être incapable de cocher dix cases d’une TO DO list en une seule heure ? Est-ce refuser d’être dans ce mode multitâche permanent qui finit par nous déposséder de nous-mêmes ? Je me pose une autre question : pourquoi avons-nous tellement peur du vide ? Pourquoi chaque silence doit-il être comblé par du bruit ? Pourquoi avons-nous plus peur du calme que du chaos ?
La peur du manque de silence
Moi, j’ai peur aussi. Mais pas du vide. J’ai peur du manque de vide. J’ai peur de ne plus avoir de silence, de ne plus avoir ces moments où le temps s’étire sans rien demander. Parce que c’est là, dans ce silence, que naît la vraie vie intérieure.
Quand avez-vous pris le temps, pour la dernière fois, de ne rien faire ? Je parle de vraiment rien faire. Pas de scroller, pas d’écouter, pas de regarder. Juste… être là. Ce n’est pas confortable, c’est vrai. Parce que dans ce silence, les pensées remontent, les émotions refont surface. Mais c’est aussi là que la créativité explose, que l’intuition prend forme, que les vraies envies apparaissent.
On se prive de ça à force de remplir nos journées. Et après, on s’étonne de se sentir vides.
Le mensonge du “vite fait bien fait”
Je ne crois plus au “vite fait bien fait”. C’est une illusion moderne, un mensonge collectif. On nous a appris que faire plus, plus vite, c’était être efficace, accompli, réussi. Mais regardez autour de vous : est-ce que ça rend les gens plus heureux ? Plus présents ? Plus vivants ? Pas vraiment.
Ce qu’on récolte, c’est surtout de l’épuisement, de la frustration, des existences surchargées où on court sans jamais arriver. Nous croyons gagner du temps mais en réalité nous le perdons. Nous le perdons à passer à côté de l’essentiel.
La vérité, c’est que nous ne savons plus être.
Nous ne savons plus écouter.
Nous ne savons plus parler vraiment.
Et pour ceux qui me lisent encore… nous ne savons plus lire.
Lire, aujourd’hui, demande un effort presque héroïque. Résister à la tentation d’aller voir ailleurs, de cliquer, de zapper. Offrir son attention, entièrement, à un texte. C’est rare, c’est précieux.
Lire comme un acte de résistance
Écrire, pour moi, c’est donc tendre une main. Dire : “Arrête-toi un instant. Entre dans ce rythme-là. Prends le temps de ces mots.” Lire, c’est un choix radical dans un monde obsédé par l’instantané. C’est dire : je suis encore capable de rester là, d’aller au bout d’une idée, de laisser un texte me traverser.
C’est pour ça que je continue d’écrire. Pas pour convaincre les foules. Pas pour faire du clic. Mais pour parler à celles et ceux qui veulent encore se laisser toucher, bousculer, inspirer autrement qu’en dix secondes.
Le vrai luxe : l’attention
Notre attention est devenue notre ressource la plus rare. Et pourtant, nous la gaspillons. Nous la dilapidons dans des contenus qui ne la méritent pas, dans des injonctions absurdes. “Sois productif.” “Sois épanoui.” “Sois aligné.” “Sois heureux.” Sérieusement ? À force de nous répéter comment être bien, nous en oublions de simplement être.
Et si le vrai luxe, ce n’était pas un voyage aux Maldives ou un nouveau gadget, mais un moment de silence, un repas lent, une lecture attentive ? Et si la vraie liberté, c’était de reprendre le contrôle sur ce que nous donnons à notre esprit, à nos sens, à notre cœur ?
Une évidence libératrice
Après une longue traversée personnelle, à me demander ce que je faisais ici, j’ai compris une chose essentielle : je n’aurai jamais assez de temps sur cette terre pour tout faire. Et j’ai choisi d’accepter cette idée. C’est libérateur. Parce que si je n’ai pas le temps de tout, je peux choisir ce qui compte. Alors oui, je choisis d’écrire des textes que peu liront peut-être. Je choisis de prendre (et non pas perdre) du temps à écrire pour ceux qui choisiront de “prendre du temps” à lire. Parce que ce n’est pas du temps perdu. C’est du temps retrouvé.
Et vous ?
Alors je vous pose la question : quand avez-vous lu pour la dernière fois sans regarder l’heure ? Quand avez-vous accepté de ne rien “optimiser”, de ne rien “rentabiliser” ? Quand avez-vous donné toute votre attention à un seul geste, une seule présence, un seul mot ?
Peut-être que lire ce texte, jusqu’ici, est déjà un début de réponse. Et si c’est le cas, je vous remercie. Parce qu’en écrivant, j’ai choisi de m’arrêter. Et en lisant, vous avez choisi aussi. Et ce choix, aujourd’hui, c’est déjà énorme.
Pauline LV